Le Blog Modern Orthodox est heureux de continuer son projet « parashat hashavoua » qui propose des commentaires de la parasha écrits par des intellectuel/le/s de différents horizons. Cette semaine, Lucie Esther Chaix commente la parashat “Tetsaveh”.
Diplômée d’un Master II en Histoire du droit de l’université d’Assas, Lucie Chaix
a également étudié pendant un an et demi dans le programme Alisa de la
Midreshet Nishmat à Jérusalem de manière intensive et y étudie
actuellement à temps partiel. Elle vit à Jérusalem.
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- Les services du Cohen Gadol et des Cohanim
Il est courant lors de la lecture de la
Torah de constater de nombreuses disparités entre le texte littéral et
la halakha telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, phénomène qui est
expliqué de différentes manières et dont cette parasha est un exemple
éloquent. En effet, Tetzaveh montre la grande disparité existant entre
la Loi écrite et la Halakha telle que définie par ‘Hazal, ce qui est ici
surprenant. En effet, l’on ne parle pas ici d’un sujet halakhique
mineur, mais bien de la structure du service au sein du Tabernacle.
Le service au sein du Tabernacle est
assuré par deux types de Cohanim : le Cohen Gadol, Aaron, et les
Cohanim, ses fils, dont les statuts diffèrent de manière flagrante. En
effet, le Cohen Gadol est perçu comme étant un homme intrinsèquement
saint, alors que les Cohanim ne sont pas définis comme saints. On
perçoit ici une focalisation sur le rôle d’Aaron en tant que Cohen Gadol
qui est exprimée dès les premiers versets de la parasha qui commandent
d’élaborer des vêtements saints à l’intention du Cohen Gadol seulement
et non à l’intention du Cohen Gadol et des Cohanim.
« ועשית בגדי-קודש לאהרון אחיך לכבוד ולתפארת »
« Et tu réaliseras des vêtements sacrés pour Aaron ton frère, de gloire et de splendeur » (Ex: 28,2).
C’est seulement quelques versets plus
loin que l’on apprend que des vêtements saints doivent également être
élaborés pour les fils d’Aaron.
וְעָשׂוּ בִגְדֵי-קֹדֶשׁ לְאַהֲרֹן אָחִיךָ, וּלְבָנָיו–לְכַהֲנוֹ-לִי
Ils feront des vêtements sacrés pour Aaron ton frère et pour ses enfants, afin qu’il me serve. (Ex. 28,4).
Il est cependant intéressant de noter que, même ici, le commandement se finit au singulier et non au pluriel (« לכהנו לי).
La différenciation entre Aaron dont les
vêtements le sanctifient et les vêtements de ses fils, qui leur permet
seulement d’effectuer leur service au sein du Mishkan mais ne les
sanctifient pas existe bel et bien. L’on se doit ici d’interpréter les
différents versets de Tetzaveh et les contradictions présentes dans le
texte de manière à préserver cette différenciation.
A plusieurs endroits[1]
est mentionné que les vêtements d’Aaron ont pour fonction de le servir,
de lui servir lorsqu’il entre dans le Saint des Saints. Quel est le
lien entre les vêtements du Cohen Gadol et son entrée dans le Saint des
Saints ? De plus, pourquoi la Torah ordonne que son long manteau soit
décoré de cloches ?[2]
L’explication donnée est qu’il doit être entendu lorsqu’il pénètre dans
cette partie du Mishkan afin qu’il ne meure pas. Cependant ce verset
soulève un véritable problème. En effet, le Cohen Gadol n’entre pas dans
le Mishkan vêtu de ses huit habits. Il n’officie avec ces vêtements que
lorsqu’il se trouve dans le Sanctuaire. L’on pourrait émettre comme
suggestion que que le texte fait référence à Aaron lorsqu’il pénètre
dans le Sanctuaire, cependant les Cohanim y pénètrent également et il
n’existe aucune d’obligation à leur encontre d’accrocher des cloches à
leurs vêtements.
De nombreux commentateurs se sont
exprimés au sujet de ces cloches et proposent plusieurs solutions afin
de résoudre l’apparente contradiction.
Le Rashbam[3]
explique que les cloches avaient comme but de maintenir tout le monde à
distance afin de respecter l’interdit pour quiconque de se trouver au
sein du Mishkan lorsque le Cohen Gadol pénètre dans le Saint des Saints.
Afin de réconcilier cette explication avec le fait que le Cohen Gadol
effectue son service durant Yom Kippour en ne portant que quatre
vêtements – dont le manteau ne fait pas partie – l’on doit adopter une
des deux possibilités suivantes. Selon le Rashbam, le Cohen Gadol devait
à l’origine effectuer son service dans le Saint des Saints en portant
ses huit vêtements ou il se peut que, selon le Rashbam, le service de
repentance lors de Yom Kippour devait s’effectuer dans le Sanctuaire où
le Cohen Gadol porte ses vêtements habituels et non dans le Saint des
Saints.
Le Ramban[4]
suit l’avis du Rashbam mais précise que les cloches sont nécessaires
pour les parties du service effectuées durant Yom Kippour dans le
Sanctuaire pendant lesquelles le Cohen Gadol porte ses huit habits.
Selon le Ramban c’est en ce jour que les cloches sont nécessaires, pour
la gloire du Cohen Gadol.
L’on pourrait se satisfaire de cette
explication. Néanmoins, un problème subsiste. En effet, l’obligation est
formulée de manière générale dans le texte et non liée de manière
spécifique à Yom Kippour. De plus, il est possible que la parasha du
service du Cohen Gadol pour Yom Kippour ait été donné après que le
Mishkan a été construit et, dans ce cas, l’explication donnée par le
Ramban ne peut pas être acceptée.
Il est possible de
résoudre autrement la contradiction soulevée ici. Pour cela, il est
important de s’intéresser maintenant au rôle des Cohanim qui diffère
tant de celui du Cohen Gadol et des endroits où les deux types de
Kohanim effectuent leurs services respectifs.
–
- Le Sanctuaire et la Cour
En dehors de quelques exceptions, il
n’est pas permis aux Cohanim d’effectuer son service au sein même du
Mishkan. Il doit être effectué dans la cour, sur l’autel. A chaque fois
qu’une fonction pastorale devant être effectuée dans le Mishkan est
mentionnée, elle relève de la responsabilité d’Aaron, le Cohen Gadol, ce
qui est explicitement écrit dans la Torah, comme le commandement
d’offrir de l’encens[5].
De la même manière, l’on pourrait dire
que lorsque la Torah mentionne «תחתיו מבניו אשר יבא אל אהל מועד לשרת
בקדש בשבעת ימים ילבש הכהן » (Ex. 29,30), le service ne s’effectue pas
dans le Saint des Saints mais dans le Sanctuaire. Cependant, quel est
l’intérêt d’effectuer le service pendant sept jours en portant les huit
vêtements en préparation pour le service de Yom Kippour durant lequel
seuls quatre vêtements sont portés par le Cohen Gadol ? L’on peut ici
émettre l’hypothèse que le Cohen Gadol est en effet entrain de se
préparer pour le service se déroulant dans le Sanctuaire qui s’effectue
en portant les huit vêtements.
Si l’on accepte l’hypothèse selon
laquelle un Cohen ne peut pas servir dans le Sanctuaire, on est alors en
mesure de réconcilier les contradictions vues précédemment. Aaron est
saint tout comme ses vêtements car il est choisi de manière unique afin
d’officier au sein du Sanctuaire. Ses fils sont de « simples » cohanim
choisis pour officier dans la cour qui n’incarne pas la même sainteté
que l’intérieur du Mishkan. Aaron est celui qui doit utiliser les
cloches car lui seul entre dans le Sanctuaire. Cela permet également
d’expliquer le lien existant entre les habits et l’entrée dans le
Sanctuaire. Le texte ne fait pas référence ici à l’entrée au sein du
Saint des Saints mais bien à l’entrée au sein du Sanctuaire pour
laquelle le Cohen Gadol est sanctifié en portant des vêtements
spécifiques.
Cette explication permet également de
mieux comprendre la composition des vêtements du Cohen Gadol et des
Cohanim. En effet, seuls les vêtements d’Aaron sont composés de violet,
bleu, rouge, or et du fil car il ‘agit des mêmes matériaux que ceux
utilisés pour les rideaux du Mishkan, l’endroit où Aaron officie. Dans
la cour, seul le fil est utilisé pour les rideaux, par conséquent, les
habits des Cohanim sont fabriqués avec les mêmes matériaux.
De plus, le Cohen chargé de placer les
cendres hors du camp porte deux vêtements, un Cohen en porte quatre et
le Cohen Gadol en porte huit ce qui permet de conclure que le nombre de
vêtements portés dépend de l’endroit où a lieu l’office. Un office ayant
lieu en dehors du camp ne requiert de ne porter que deux vêtements, les
offices se déroulant dans la cour d’en porter quatre, et ceux se
déroulant dans le Mishkan, d’en porter huit. Plus le niveau de sainteté
de l’endroit où se déroule l’office est élevé, plus le nombre d’habits
augmente.
Il est important de mentionner, pour
conclure cette deuxième partie, qu’a priori, Aaron n’était pas supposé
pouvoir entrer dans le Saint des Saints. Sans cela, il est
incompréhensible pourquoi les habits blancs sont réservés pour entrer
dans cet endroit alors que ce n’est pas mentionné dans notre parasha.
L’entrée dans le Saint des Saints n’est devenue nécessaire qu’après la
faute du Veau d’Or. Ainsi cette entrée n’a été autorisée que post facto
ce qui explique pourquoi le Cohen Gadol n’entre pas dans le Saint des
Saints en portant seize vêtements mais en en portant seulement quatre.
En effet, ces vêtements n’apparaissent que plus tardivement[6].
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- Au service d’Israël ou au service Dieu ?
En ce qui concerne la nature des habits
du Cohen Gadol, un autre aspect important doit être détaillé qui
contraste avec les habits des Cohanim. Il existe une différence entre
les couleurs des rideaux du Mishkan et celles des vêtements du Cohen
Gadol. En effet, la couleur or n’est pas présente dans les rideaux du
Mishkan alors qu’un fil d’or est utilisé dans les vêtements du Cohen
Gadol. Par contraste, les ustensiles du Mishkan sont en or et ne
contiennent pas de bleu. Il y a une différenciation nette : le Mishkan
est fait de bleu tandis que les ustensiles sont en or, alors que dans
les vêtements du Cohen Gadol, les couleurs or et bleu sont toutes les
deux utilisées, ce qui nous amène à dire que le statut de prêtrise peut
être perçue de deux manières. Les Cohanim représentent la communauté,
durant leur service dans le Mishkan, ils représentent l’ensemble de la
nation ou ils font partie du Mishkan et officient pour Dieu et Le
servent.
Ces deux approches permettent de
comprendre pourquoi les couleurs or et bleu sont toutes les deux
présentes dans les habits du Cohen Gadol. Cette combinaison montre que
les Cohanim appartiennent au Mishkan, ils en sont en quelque sorte les
ustensiles, mais cela ne vient pas nier qu’ils sont également les
représentants de la nation.
Enfin, l’on constate que,
selon la Halakha, les Cohanim peuvent officier dans le Heikhal. Comment
la Halakha a-t-elle pu être changée et qu’il soit devenu possible pour
les Cohanim de servir dans le Heikhal ? Il ne s’agit pas seulement d’une
contradiction au sein de la Halacha, en effet, toutes les mishnayot
qui décrivent le service dans le Mishkan décrivent des Cohanim y
officiant. Cette contradiction peut être résolue en effectuant une
différenciation entre la période où le peuple d’Israël résidait dans le
désert et celle où il résidait sur sa terre. En effet, dans le désert,
Dieu était présent dans tout le camp, ce qui créait un niveau
particulièrement élevé de Shekhina ce qui avait pour conséquence que
celui se trouvant en état d’impureté devait se retirer entièrement du
campement. Cette analogie peut être appliquée à l’office du Mishkan. En
effet, de par le niveau de Shekhina (Présence divine)
particulièrement élevé dans le désert, les Cohanim n’étaient pas
autorisés à servir dans le Mishkan. Cependant, cette restriction a été
levée lorsque le peuple d’Israël s’est installé sur sa terre et y a
établi un Mikdash permanent où le niveau de Shekhina était moins élevé, leur permettent dès lors de servir dans le sanctuaire.
Ainsi, cette parasha
montre les différences existant entre la fonction du Cohen Gadol et
celle des Cohanim, celles-ci s’exprimant tant par les endroits où le
Cohen Gadol officie et ceux où les Cohanim que par les différences
existant dans la composition de leurs vêtements respectifs. Néanmoins,
les deux catégories de Cohanim sont tout autant au service de Dieu qu’au
service du peuple d’Israël et procèdent tout autant à sanctifier le Nom
Divin par leur service divin qu’à servir Dieu en Le sanctifiant.
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