La troisième paracha de
Berechit commence avec l’injonction de D., s’adressant à Abram et lui
indiquant de quitter sa terre natale, pour une contrée lui étant
inconnue. Abram décide alors de s’extraire de tout ce qu’il connaissait
jusqu’à présent. Il part, accompagné de son épouse Saraï et de son neveu
Loth. Ils arrivent au pays de Canaan, mais leur séjour va s’avérer contrarié…
Mouvement, création et progression
Loin de se contenter d’avoir atteint son
but, voilà qu’Abram demeure dans l’action. Le champ lexicologique de ce
premier passage renvoie en effet au mouvement. « Abram s’avanca », « il y édifia », « il se transporta (…) et y dressa », « il y érigea » et « il proclama ».
Abram agit aussi bien par l’action que par la parole, puisqu’il
proclame le nom de l’Eternel, tout en lui érigeant des autels et en
parcourant le pays. Pourquoi une telle ardeur dans son comportement
alors que D. Lui-même ne lui en a pas demandé tant ? La réponse surgit
dans les derniers mots du premier passage : « Abram partit ensuite, allant et se dirigeant constamment vers le midi ».
Ne nous enseignerait-il pas ici
l’humilité de ne pas nous conforter dans la réalisation de nos
objectifs ? Profiter des bienfaits d’une situation s’avère une
satisfaction légitime, mais ne saurait nous astreindre à chercher à nous
améliorer, améliorer autour de nous et progresser. Le risque serait
sinon de nous conforter dans une position morale grisante, mais oh
combien dangereuse, si nous laissions s’installer un confort de l’esprit
factice. Rien ne nous est acquis dans aucun domaine, qu’il soit
sentimental, intellectuel, spirituel ou matériel.
Les mouvements d’Abram, multiples et
diversifiés, ne sont pas pour autant confus. Il se dirige constamment
vers le midi. Comme le souligne Rachi, ses déplacements du nord au sud
symbolisent sa volonté de toujours tendre vers des voies constructives
et lumineuses. Nos actions, dans leur multitude, doivent ainsi reposer
sur un même et solide socle, leur conférant de la profondeur.
Régression et ascension
Abram et Saraï vont vivre une première
épreuve en pays de Canaan, avec l’apparition d’une terrible famine, les
poussant à quitter cette terre qu’ils venaient d’atteindre. Ils décident
alors de « descendre en Egypte pour y séjourner ». Ils se
retrouvent dans un environnement hostile et une seconde épreuve les
attend. Le regard avide du Pharaon se porte sur Saraï, dont la beauté et
la personnalité sont éclatantes. Il formule la volonté de la prendre
pour concubine et de la confiner dans son harem. D. lui inflige alors de
terribles plaies. Abram et Saraï parviennent ainsi à quitter l’Egypte.
Le récit reprend : « Abram remonta de l’Egypte, lui, sa femme et toute sa suite, et Loth avec lui vers le midi ». La
descente d’Abram en Egypte fut douloureuse, ponctuée d’épreuves, mais
il parvient à remonter en pays de Canaan, ne perdant jamais de vue la
direction lumineuse du midi. Ainsi vont les aléas de la vie, perturbés
parfois par de terribles événements. Il est légitime de douter et de
songer un instant que notre vie est négative, surtout lorsque nous
vivons au plus profond de notre âme et de notre chair des épreuves. Par
ces mouvements de régression, puis d’ascension, Abram nous enseigne ici
le concept psychologique moderne de la résilience, porté par Boris
Cyrulnik, lui-même rescapé des camps d’extermination. Une énergie
insoupçonnable existe en chacun de nous, mais elle demande courage face à
la situation et face à soi-même.
La fatalité n’existe pas
Un autre passage de la paracha
relate que D. s’adresse à Abram, lui indiquant de ne point craindre, car
Il lui accorde sa protection tel un « bouclier » et « lui promet une
grande récompense ». La réponse d’Abram est empreinte de doute en
l’avenir. Il désespère d’avoir une descendance. D. l’interpelle à
nouveau et lui affirme qu’il en aura une. Le texte ajoute qu’ «Il le fit
sortir dehors et dit : Regarde le ciel et compte les étoiles (…) ». Que
signifient ces mystérieux propos ? Une interprétation midrashique livre
l’explication suivante. Sortir dehors signifie sortir de son destin tel
qu’il semblerait inscrit dans les astres.
Naitre ou se retrouver au cours de
sa vie dans un contexte problématique, voire dramatique, qu’il soit
familial, social, personnel et/ou matériel, occasionne bien évidemment
des dégâts moraux. Une sensation d’arbitraire peut s’installer,
l’arbitraire de ne pas avoir reçu les mêmes « chances de départ » que
d’autres, ou encore de vivre une injustice, incompréhension face aux
tourments. Mais aucune situation ne saurait être figée. C’est la
confiance et la foi d’Abram en D. qui vont, à travers les incertitudes,
lui donner la force de les dépasser et d’avancer. Saraï mettra au monde
un enfant et D. les renommera Abraham et Sarah.
Alors que nos sociétés
contemporaines se confortent parfois dans une culture de l’excuse, la
vie d’Abraham et Sarah, nous indique que la fatalité n’existe pas et
que, même au plus fort de la tempête, les dénouements sont parfois
incroyablement imprévus et positifs, dès lors que l’on a confiance en D.
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